Dan Thanh Duong Thi, Université du Québec à Montréal
Carla Barroso da Costa, Université du Québec à Montréal
Depuis décembre 2019, le monde fait face à l’épidémie de coronavirus, maladie infectieuse causée par le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2). Connue généralement comme la COVID-19, cette pandémie a fortement affecté l’enseignement et l’apprentissage à l’université, la plupart des cours étant donnés en ligne depuis le printemps 2020. Dans cette situation, les professeurs universitaires doivent mettre en place des modalités d’évaluation pertinentes, dynamiques et variées afin de s’adapter à ce nouveau contexte d’enseignement, tout en respectant la complexité et l’authenticité des tâches demandées aux étudiants ainsi que leur engagement actif dans l’accomplissement des tâches évaluatives. Parmi ces modalités d’évaluation, l’autoévaluation semble un moyen indispensable pour développer la pratique réflexive et les habiletés métacognitives des étudiants sur leurs propres apprentissages.
L’autoévaluation constitue une démarche réflexive, une appréciation argumentée du parcours d’apprentissage de l’étudiant dans la réalisation d’une tâche donnée et dans la capacité de porter un jugement personnel authentique et objectif sur le développement de ses savoirs (St-Pierre, 2004). Ainsi, lorsque l’étudiant s’autoévalue, il prend conscience non seulement de ses processus cognitifs, mais également de ses motivations et de son sentiment d’efficacité à effectuer la tâche proposée.
La métacognition et ses composantes
La métacognition est une pratique réflexive, une sorte de cognition sur la cognition. Selon Flavell (1976) « La métacognition se rapporte à la connaissance qu’on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l´apprentissage d´informations et de données… » (p. 232). C’est une opération mentale consciente constituée d’une composante déclarative (des connaissances sur les facteurs liés à la personne, à la tâche évaluative et aux stratégies d’apprentissage) ainsi que d’une composante procédurale (l’autorégulation).
La composante déclarative – facteur lié à la personne : l’étudiant montre qu’il a une connaissance de lui-même lorsqu’il est capable de reconnaître ses forces et ses limites en tant qu’apprenant. Par exemple, l’étudiant peut s’identifier comme étant une personne qui apprend rapidement et efficacement en visualisant les attributs d’un concept à partir d’un schéma conceptuel, en verbalisant dans ses mots le contenu appris ou encore en confrontant ses idées avec celles de ses collègues et de son professeur.
La composante déclarative – facteur lié à la tâche évaluative : l’étudiant reconnaît les effets des caractéristiques de la situation d’évaluation sur sa manière d’apprendre et pose un jugement sur la complexité de cette situation, sur sa connaissance du contexte, sur la disponibilité des ressources permettant de la réaliser, etc. Il peut s’agir, par exemple, d’un étudiant qui se sent à l’aise d’effectuer la tâche grâce à des apprentissages réalisés dans d’autres cours et qui l’ont bien outillé à suivre la matière, ou encore, d’un étudiant confronté à une tâche dont le niveau de complexité est jugé élevé et dont la réalisation demande un effort considérable.
La composante déclarative – facteur lié aux stratégies d’apprentissage : l’habileté métacognitive liée aux stratégies d’apprentissage se révèle lorsque l’étudiant démontre sa connaissance sur les moyens d’atteindre les objectifs précisés et de réussir, autrement dit, son raisonnement pour effectuer la tâche. Par exemple, l’étudiant décrit les étapes qu’il a suivies pour répondre aux exigences de la tâche et les décisions qu’il a prises pour l’effectuer à partir d’une logique bien structurée.
La composante procédurale de la métacognition – l’autorégulation des apprentissages : il s’agit de l’habileté à contrôler et à ajuster ses propres activités. Par exemple, l’étudiant est apte à identifier de quelle manière et dans quelles conditions certaines stratégies cognitives peuvent s’appliquer, tout en étant capable d’évaluer consciemment leur efficacité.
Bien entendu, les tâches évaluatives conçues pour être complexes sont celles qui offrent l’occasion aux étudiants de réfléchir sur leurs processus cognitifs et de poser un jugement sur la qualité de leurs opérations mentales (Barroso da Costa et Araújo-Oliveira, sous presse; Berger, 2009; Monnard et Luisoni, 2013). Cela dit, la conception d’une tâche évaluative qui laisse de la place à l’analyse, à l’évaluation et/ou à la création (des niveaux les plus élevés de la taxonomie de Bloom) est celle qui rend possible le développement de l’habileté de l’étudiant à analyser ses activités intellectuelles et à réguler ses apprentissages.
L’autoévaluation en pratique
L’exemple présenté dans cette section est une tâche évaluative provenant d’un cours d’analyse des données quantitatives, donné en première année d’un programme de baccalauréat dans le domaine des sciences de l’éducation. Pour répondre aux exigences de cette tâche qui représente 40 % de la note finale du cours, les étudiants doivent produire un rapport constitué d’analyses statistiques descriptives en utilisant le logiciel le Statistical Package for Social Sciences (SPSS) avec quatre variables au choix (trois discrètes et une continue) à partir d’une liste d’environ 100 variables d’une enquête internationale à grande échelle. Pour produire ce rapport statistique, les étudiants doivent démontrer leur maitrise de divers aspects de la description des données étudiées en cours, comme l’élaboration de différents graphiques et tableaux, le calcul des fréquences et des statistiques (moyenne, médiane, écart-type, etc.), la réalisation de croisements de données et l’analyse des formes de distribution. Le travail s’échelonne sur une période de sept semaines. Les consignes et les critères d’évaluation sont présentés et expliqués aux étudiants durant le deuxième cours. L’évaluation du travail se fait à l’aide d’une grille d’évaluation descriptive, basée sur les quatre critères suivants : (1) la maîtrise des concepts liés à l’analyse descriptive (12 points), (2) la pertinence et la justesse des résultats (12 points), (3) l’association effectuée entre les variables analysées (10 points) et (4) la qualité du rapport statistique (6 points).
À la fin du rapport statistique, chaque étudiant doit remplir une autoévaluation dans laquelle il est invité à présenter une réflexion critique personnelle de son apprentissage et du développement de ses compétences. Il doit énoncer les aspects les plus faciles et les plus difficiles de la tâche, les plus plaisants, mais également les moins agréables. De plus, il doit expliciter les défis rencontrés dans la réalisation de la tâche, les stratégies cognitives et métacognitives mises en œuvre pour surmonter ces défis ainsi que leur progression. Par ailleurs, tout au long des sept semaines de réalisation du travail, les étudiants exécutent plusieurs exercices en petits groupes afin de partager leurs points de vue, de chercher des solutions ensemble et de s’entraider dans la construction du travail.
Dans une étude menée par Barroso da Costa et Araújo-Oliveira (à paraître) qui se base sur l’analyse qualitative de 98 autoévaluations produites par des étudiants dans le cadre de ce cours, les résultats suggèrent une forte relation entre les composantes de la métacognition (composante déclarative ou procédurale) et les performances des étudiants (les résultats obtenus dans le cours et les participations actifs dans des exercices réalisés en salle de classe) ainsi que leur engagement affectif (la motivation, le sentiment d’efficacité ou la perception sur l’importance et l’utilité de la tâche). Plus précisément, les étudiants qui se sentent motivés, capables de reconnaître leur habileté à réaliser le travail et de donner du sens à l’activité évaluative sont ceux qui démontrent le plus clairement leur capacité métacognitive et qui réussissent le mieux dans la réalisation de la tâche. Autrement dit, les étudiants les plus performants sont ceux qui manifestent un pouvoir de réflexion consciente accru sur leurs stratégies d’apprentissage. Par contre, dans le cas des étudiants moins performants, l’analyse de leurs autoévaluations montre la frustration et l’anxiété qu’ils ressentent face à la réalisation du travail ainsi qu’une habileté métacognitive ponctuelle et partiellement consciente.
Comment développer l’habileté des étudiants à s’autoévaluer?
Pour enseigner aux étudiants à s’autoévaluer, il est important de commencer par susciter leur engagement affectif et cognitif dans l’élaboration des critères d’évaluation, si la situation le permet. S’il est impossible d’élaborer ces critères avec les étudiants dans un contexte de cours, il est fondamental de s’assurer qu’ils comprennent les critères d’évaluation afin de pouvoir établir une relation claire entre les objectifs visés et les attentes associées à la tâche demandée, et de porter un jugement adéquat sur leur progrès (Lison et St-Laurent, 2015). Pour favoriser le développement de l’habileté des étudiants à s’autoévaluer, St-Pierre (2004) propose une démarche en huit étapes adaptées par Lison et St-Laurent (2015). Ci-dessous, nous décrivons ces étapes en détail, en donnant l’exemple de la tâche évaluative proposée dans un cours d’analyse des données quantitatives mentionnée dans la section précédente.
Les huit étapes pour favoriser le développement de l’habileté à s’autoévaluer
(1) L’appropriation des objectifs (la compréhension, le partage et l’engagement personnel)
Cette étape est réalisée lors de la présentation des consignes de la tâche, de l’échéancier et de la grille d’évaluation aux étudiants durant le deuxième cours. L’enseignant s’assure qu’ils ont bien compris les attentes en leur posant des questions. Il précise la valeur extrascolaire de la tâche à réaliser et son usage dans des situations réelles d’analyse de données quantitatives, en donnant des exemples de rapports statistiques liés à certaines enquêtes à grande échelle.
(2) L’échange sur la nature des tâches et des activités et sur les productions attendues Avec l’enseignant ou les pairs, les étudiants ont de nombreuses occasions de partager leurs analyses, de discuter de la meilleure façon de décrire les données et de solutionner certains problèmes présentés par l’enseignant. Ils ont également l’occasion d’identifier les stratégies possibles pour réaliser le travail, par exemple, choisir les variables à analyser, les types de graphiques et de tableaux les plus adéquats pour décrire des données, partager des parties d’analyse et d’interprétation.
(3) L’analyse des exemples pour en dégager les qualités, les caractéristiques et les manifestations d’un produit ou d’un processus réussi
Plusieurs exemples d’analyses descriptives sont mis à la disposition des étudiants pour les aider dans la construction de leur travail. De plus, l’enseignant intervient auprès des équipes de travail et les amène à s’exprimer et à confronter leurs idées, à développer leur réflexion critique à propos de certains aspects du travail, par exemple, le choix d’un format de graphique ou de tableau pour présenter une variable du type ordinal. L’enseignant assure le suivi des étapes complétées par les étudiants en leur donnant des rétroactions régulièrement.
(4) La formulation ou l’appropriation de critères, d’indicateurs et d’échelles d’appréciation pour soutenir la réflexion
Les critères d’évaluation et la grille d’évaluation descriptive sont présentés aux étudiants lors de la deuxième séance. Cette grille est initialement élaborée par l’enseignant, puis bonifiée, au besoin, avec des commentaires des étudiants. L’enseignant fournit oralement des exemples concrets afin que lesétudiants puissent comprendre clairement ce qui est attendu pour chaque critère d’évaluation.
(5) L’exécution de la tâche en relevant les indices sur la qualité
Chaque semaine, les étudiants sont invités à présenter l’état d’avancement de leur travail pour recevoir des rétroactions formatives de l’enseignant et de leurs pairs. Ils sont également invités à s’exprimer oralement, à partager des résultats d’analyse qui peuvent intéresser le groupe d’étudiants et à présenter les solutions utilisées pour surmonter certains défis du travail, par exemple, la réalisation d’une sélection de données pour extraire des informations originales.
(6) La comparaison des indices et des critères (échelles)
Lorsque les étudiants ont des doutes quant à l’atteinte des critères d’évaluation, l’enseignant planifie une rencontre pour réviser la matière et faire plusieurs exercices en groupe. À cette occasion, il invite les groupes d’étudiants à remplir la grille descriptive utilisée pour l’évaluation du rapport statistique au but d’analyser des points forts et des limites de chaque groupe et cela pour chaque critère d’évaluation.
(7) La réflexion critique et le jugement
Cette réflexion s’effectue oralement pendant la réalisation des travaux en groupe et par écrit lorsqu’il remplit l’autoévaluation qui se trouve à la fin du travail à remettre. Lors des échanges et des discussions en classe, les étudiants ont l’occasion de comparer leur travail à celui de leurs pairs, ce qui leur permet de développer leur réflexion critique. De plus, les exercices en équipe les aident à se faire une idée sur leur propre travail ou sur celui de leurs collègues. En remplissant l’autoévaluation qui se trouve à la fin du travail, chaque étudiant décrit les stratégies utilisées pour réaliser le travail et porte un jugement sur son rapport statistique.
(8) L’autorégulation
Bien que l’autorégulation soit difficile à vérifier, l’enseignant peut l’utiliser pour obtenir certains indices. Ainsi, lorsque l’étudiant dit qu’il a rencontré un défi dans la réalisation du travail et qu’il explique comment il a réussi à le surmonter, le processus d’autorégulation révèle sa capacité de surveiller et d’évaluer ses propres apprentissages. Nous donnons comme exemple un extrait d’une autoévaluation :
Il a fallu se relire plusieurs fois pour bien valider que nos explications étaient claires et en lien les unes avec les autres. J’ai appris que ce genre d’analyse amène beaucoup de données et de résultats possibles que nous pouvons analyser encore et encore de différentes façons. Il faut donc être structuré pour conserver notre objectif initial.
En guise de conclusion
Pour conclure cette brève réflexion, nous soulignons qu’il est important que l’évaluation dans un contexte universitaire puisse privilégier l’apprentissage en profondeur et la participation active des étudiants dans leur propre processus d’évaluation. Elle doit également favoriser et consolider les activités d’autorégulation et l’utilisation de stratégies métacognitives des étudiants pour faciliter l’inclusion et orienter l’apprentissage vers la réussite universitaire. Ainsi, afin de développer la capacité d’autoévaluation chez les étudiants, il est nécessaire de les accompagner au fur et à mesure qu’ils réalisent les tâches demandées. Les huit étapes proposées par St-Pierre (2004) et adaptées par Lison et St-Laurent (2015) constituent donc une suggestion pertinente pour guider la démarche de l’enseignant dans le développement des habiletés d’autoévaluation chez les étudiants.
[citationic]
Références bibliographiques
Barroso da Costa, C. et Araújo-Oliveira, A. (sous presse). Métacognition, états affectifs et engagement cognitif chez des étudiants universitaires : triade percutante pour l’apprentissage et l’inclusion. Educativa, 23.
Berger, J. L. (2009). The influence of achievement goals on metacognitive processes in math problem solving. Journal of Cognitive Education and Psychology, 8(2), 165-181.
Flavell, J. H. (1976). Metacognitive aspects of problem solving. Dans L. B. Resnick
(dir.), The Nature of Intelligence (p. 231-235). New Jersey: Lawrence Erlbaum.
Lison, C. et St-Laurent, C. (2015). Développer la pratique réflexive des étudiants pour soutenir leur autoévaluation. Dans J. L. Leroux (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l’université: un guide pratique (p. 311-334). Montréal, Québec : Chenelière Éducation/Association québécoise de pédagogie collégiale.
Monnard, I. et Luisoni, M. (2013). Sens attribué à l’évaluation des compétences professionnelles par tâches complexes chez de futurs enseignants en formation. Mesure et évaluation en éducation, 36(2), 1-27.
St-Pierre, L. (2004). L’habileté d’autoévaluation chez l’élève: pourquoi et comment la développer? Pédagogie collégiale, 18(1), 33-38.