Présentation d’une modalité d’évaluation inclusive en présentiel ou en ligne : une tâche complexe et authentique selon les principes de la CUA

Micheline Joanne Durand, professeure, Université de Montréal

mj.durand@umontreal.ca

L’application des pratiques de la CUA dans la mise en place d’une tâche complexe d’apprentissage et d’évaluation a été proposée aux étudiants des programmes en formation des maîtres inscrits au cours ETA1250 à partir de l’année 2015-2016. Il s’agit d’une tâche où les trois principes de la CUA (cités précédemment) sont utilisés de façon interreliée. Le déroulement du développement de cette modalité d’évaluation sera décrit ainsi que les ajustements apportés au cours des années suivantes où le cours s’est donné en présentiel et en ligne.

L’élaboration de cette tâche complexe s’est réalisée avec une équipe de chargés de cours accompagnée d’un membre des services à l’enseignement de l’université ainsi que de la chercheure. Il s’agissait de concevoir des modalités d’évaluation qui répondraient aux exigences du cours c’est–à-dire : Compréhension des enjeux actuels de l’école québécoise en rapport avec les finalités, la nature et la démarche de l’évaluation. Appropriation critique des différents documents ministériels prescrits. Lors de la première mise à l’essai du nouveau cours ETA1250, un des modalités d’évaluation prenait la forme d’une activité synthèse individuelle qui permettrait de cerner la compréhension des étudiants des enjeux actuels de l’évaluation au Québec. Elle avait une pondération de 40%. Il s’agissait de réaliser une carte conceptuelle sur une feuille de format ledger (279 x 432 mm ou 11,0 x 17,0 po) lors de la dernière séance de cours, d’une durée de trois heures, en salle de classe sous la supervision de l’enseignant. Toutes les notes de cours ainsi que le manuel du cours pouvaient être consultés. Différents problèmes sont ressortis notamment dans le questionnaire administré par l’université relatif à l’évaluation de l’enseignement. Ce qui a mené l’équipe des chargés de cours, à la suite de la première année d’expérimentation, a apporté quelques ajustements aux modalités d’évaluation inscrites dans le Plan de cours.

Premièrement, certains étudiants ont exprimé un sentiment d’insatisfaction car ils se sentaient comprimé dans les trois heures du cours (durée) dans un local où la place occupée est restreinte et où les conditions climatiques n’étaient pas toujours favorables en cas de chaleur intense ou froidure, par exemple, (environnement). Il a alors été convenu que la tâche à réaliser pourrait être effectuée en dehors des séances de cours en classe pour laisser le temps nécessaire à l’étudiant de remettre un travail de qualité dans un environnement plus serein.

Deuxièmement, la carte conceptuelle amène l’étudiant à représenter de différentes façons les concepts et les liens entre eux. Plusieurs manipulations sont nécessaires pour en arriver à une illustration satisfaisante. Les étudiants considéraient que le crayon et l’efface n’étaient pas toujours les meilleurs outils pour remettre un travail propre qui représentait bien leur carte conceptuelle. L’utilisation de fiches autocollantes (Post-it) pouvait améliorer la situation mais ce matériel n’était pas indiquer au départ dans les consignes. Après discussion avec les chargés de cours, il a été recommandé que, les étudiants puissent intégrer les technologies et réaliser leur carte conceptuelle à l’aide d’un logiciel tel que Cmap tool. Cette formalité ajoutée à la précédente rendait les étudiants plus efficaces car ils pouvaient utiliser leur équipement personnel pour réaliser le travail demandé selon la durée et l’environnement souhaité.

Troisièmement, la carte conceptuelle est certes un bon instrument pour évaluer les étudiants (Tardif, 2006, Morin, 2018) mais tous ne sont pas familiers et à l’aise avec ce type de représentation. Le niveau d’engagement de l’étudiant variant selon sa motivation et celle-ci est plus grande lorsque l’étudiant a le choix de ses travaux. Il a alors été convenu que trois modalités d’évaluation seraient proposées ce qui permettrait de mobiliser des ressources différentes (affective, conative, cognitive ou métacognitive.) mais qui seraient évaluées selon les mêmes exigences. La figure suivante, Figure 1, illustre ce qui a été proposé aux étudiants inscrits au cours ETA1250, depuis la deuxième année d’expérimentation, soit l’année scolaire 2016-2017. Cette nouvelle proposition était accompagnée d’une grille d’évaluation où l’étudiant pouvait s’assurer des exigences requises pour chacun des critères d’évaluation. Elle était disponible dès le début de la session et les étudiants ont eu la possibilité, pendant les foires aux questions en début de chaque cours (FAQ), de poser des questions d’éclaircissement ou de compréhension pendant toute la durée de la session. L’enseignant avait l’occasion, de cette manière, de réguler les apprentissages des étudiants et de les conforter ou confronter dans leurs façons de faire. Le travail était à remettre à la fin du dernier cours sur la plateforme du cours.

Consignes aux étudiants :
Le travail de session a pour but d’évaluer votre compréhension des enjeux actuels de l’évaluation des apprentissages dans le système scolaire au Québec. Vous pouvez choisir entre trois formats : la carte conceptuelle, la réflexion critique ou le feuillet d’information pour répondre à la question : Sur quoi est basée l’évaluation des apprentissages dans le système scolaire au Québec? (autrement dit, qu’est-ce qu’on évalue aujourd’hui? pourquoi on l’évalue? comment peut-on l’évaluer?
1-      Pour la carte conceptuelle : Sélectionnez les 30 concepts (notions) les plus pertinents pour répondre à la question et établissez les liens hiérarchiques entre eux. Vous pouvez faire votre travail en en utilisant un logiciel de carte conceptuelle, (Cmap Tools par exemple), pour créer la carte.
2-       Pour la réflexion critique : Parmi les thématiques travaillées dans le cadre du cours, sélectionnez trois idées pertinentes pour répondre à la question. Argumentez chacune des idées en insérant des citations du livre pour appuyer vos propos. Par ex : d’après vous, quelles sont les avantages et les inconvénients de la façon d’évaluer les compétences des élèves aujourd’hui? Quel est le rôle de l’enseignant? etc. Concluez en faisant un lien avec vos prochains stages. Vous pouvez faire votre travail à l’aide d’un logiciel de traitement de texte et utilisez un correcteur (Antidote, par exemple).
3-      Pour le feuillet d’information : Sélectionnez 5 idées les plus pertinentes pour répondre à la question et expliquer-les à l’aide d’exemples;
Vous pouvez avoir jusqu’à 4 pages pour ce feuillet, trois colonnes par page. Vous pouvez également ajouter les images pour personnaliser votre travail. Vous pouvez faire votre travail à l’aide d’un logiciel de mise en plage (Microsoft Publisher ou Scribus, par exemple).
 Figure 1 : Les trois types de modalités d’évaluation inclusives

Puis, après deux années d’expérimentation, une nouvelle consigne a été ajoutée afin de recueillir la perception des étudiants, inscrits au cours lors de l’année 2017-2018, sur la raison de leur choix parmi les trois modalités offertes. De plus, la pondération a aussi été modifiée en raison des autres travaux demandés. En effet, au lieu de trois travaux demandés la première année ayant respectivement une pondération de 30%, 30% et 40%, deux travaux sont actuellement demandés représentant une pondération de 30% et de 70%. Cette modification a été rendue nécessaire pour se conformer davantage à des exigences réalistes d’un cours de un crédit sur cinq séances. Le travail comportant les trois modalités d’évaluation est donc passé de 40 à 70%.

Portrait du choix des étudiants en regard des trois modalités d’évaluation.

Il a ainsi été possible de récolter, auprès de certains chargés de cours volontaires[2], les travaux de plus de 400 étudiants ce qui a permis de dresser quelques résultats préliminaires quant au choix du format selon quatre programme : Baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire (BEPEP), le baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire (BEAS), les 5 baccalauréats en enseignement secondaire (BES) et le baccalauréat en éducation physique et à la santé (BEPS). Des résultats obtenus auprès de tous les groupes pourront être obtenus au cours des prochaines années.

ProgrammeNb. de groupesNombre d’étudiants%
BÉPEP2 sur un total de 712731,5
BEAS4 sur un total de 418445,7
BES (5 programmes)2 sur un total de 25814,4
BÉPS1 sur un total de 1348,4
Total9 sur un total de 14403100,0

Tableau 1 : Nombre d’étudiants pour chacun des programmes de baccalauréat

Par la suite, le nombre d’étudiants qui avait choisi chacun des formats a été calculé, soit 1- la carte conceptuelle ; 2, la réflexion critique et 3- le feuillet d’information. Le tableau 2 indique que plus de la moitié des étudiants ont choisi la carte conceptuelle ce qui confirme notre première idée de modalité d’évaluation.

Format choisiNombre d’étudiants%
1Carte conceptuelle20851,6
2Réflexion critique12731,5
3Feuillet6816,9
Total403100,0

Tableau 2 : Nombre d’étudiants pour chacun des choix de format de la modalité d’évaluation

Il a ensuite été observé la présence de disparités dans le choix des formats selon les programmes où la carte conceptuelle était la modalité la plus populaire dans trois programmes sur 4. La figure 2 illustre les résultats récoltés.

Figure 2 : Choix des formats selon les programmes du baccalauréat en enseignement

Dans la majorité des programmes, soit trois sur quatre, les étudiants choisissent de façon marquée la carte conceptuelle comme premier choix. Chez les étudiants du BEPEP (nb=86) et du BEPS (nb=23), c’est plus de 68% d’entre eux (nb=211) tandis que chez les étudiants du BEAS, c’est 49% d’entre eux (nb=90). Les étudiants du BES quant à eux choisissent majoritairement la réflexion critique à 74% (nb=43).

Justification du choix de format des étudiants

Au-delà de ces choix, c’est la justification de ceux-ci qui révèlent des données sur la motivation et l’engagement des étudiants. Lors de la quatrième année d’implantation, il a été demandé à certains étudiants de justifier leur choix c’est-à-dire de justifier les raisons de leur choix. Il a ainsi été possible de récolter ces informations pour des étudiants du baccalauréat en éducation physique (BÉPS) et du baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire (BEAS)[3]. On retrouve deux tendances  dans le contenu analysé: on y décrit le choix du format en indiquant les aspects qu’il permet d’exposer ou on le décrit en fonction des avantages ressentis en comparaison des deux autres choix offerts. Voici quelques verbatim qui illustrent bien ces deux tendances dans chacun des trois formats :

Carte conceptuelle-E1-BÉPS « J’ai choisi de faire une carte conceptuelle car je trouve très pertinent de mettre les idées-clés de l’évaluation des apprentissages en quelques mots. En choisissant un maximum de 30 concepts, ce travail nous force à réfléchir davantage et à être très précis dans nos choix. De plus, cette carte est un outil idéal pour mémoriser rapidement le sujet traité. Ainsi, je peux encoder l’information dans ma mémoire à long terme beaucoup plus facilement qu’un texte de plusieurs pages. Enfin, je pense réutiliser l’outil Cmap pour d’autres projets en raison de sa simplicité et de son utilité.

Carte conceptuelle-E11-BÉPS « J’ai choisi de faire une carte conceptuelle parce que j’ai de la difficulté à être concise dans mes études lorsque j’écris des textes. Je trouvais donc que les contraintes pour le texte et la brochure allaient possiblement me poser problème. De plus, la carte conceptuelle n’est pas un outil que je suis habituée à utiliser lors de mes travaux et elle force à être concise dans les idées étant donné qu’il faut schématiser les concepts et les liens entre eux. Je trouvais donc que c’était un bon défi pour moi et cela me permettrait de mettre de l’ordre dans mes idées. Finalement, la carte conceptuelle est très claire visuellement et permet de comprendre facilement et rapidement les concepts et les liens entre ceux-ci. »

Réflexion critique –E2-BÉPS « J’ai choisi de faire une réflexion critique parce qu’elle me permet d’élaborer plus en détails ma réflexion et les concepts autour de l’évaluation. Une carte conceptuelle permet de mettre en relation des concepts mais ne permet pas une grande élaboration de ceux-ci. Un feuillet d’information doit contenir de l’information vulgarisée. En choisissant la réflexion, je peux m’exprimer avec plus de liberté qu’avec la carte conceptuelle ou le feuillet d’information.»

Réflexion critique-E15-BEAS « La réflexion critique permet selon moi un niveau de compréhension et une acquisition des connaissances plus grande. Cela nous permet de repasser en revue toutes les compétences comprises dans ce cours. Devoir réfléchir, établir un compte rendu et mettre en œuvre ces acquisitions, nous permet par la suite de déduire une panoplie de points communs. Je préfère former un texte puisque mes idées se clarifient davantage et cela me permet d’établir un texte concis et clair. »

Dépliant- E18-BEAS- « J’ai choisi de faire un dépliant parce que l’option était attrayante visuellement. On peut s’amuser en ajoutant des images et en travaillant la mise en page. Il y a un côté créatif à ce travail. On ne doit pas simplement écrire des paragraphes. On doit rendre la chose attrayante pour les lecteurs. De plus, c’est un bon format à conserver dans mes affaires en tant que future enseignante.»

Dépliant-E22-BEAS « Dans le cadre de ce présent travail sur l’évaluation des apprentissages dans le système scolaire au Québec, le feuillet d’information a été adopté. Comparé au schéma conceptuel et à la réflexion critique, ce format permet de diffuser de l’information concise et structurée. Les données qui y sont véhiculées permettent à un individu ou à un ensemble de personnes de recevoir un minimum d’informations sur le sujet donné. Cet outil permettra de faire connaître au public les principes de base de l’évaluation des apprentissages de manière visuelle, accessible et peu coûteuse. »

Le fait que les résultats aient été obtenus auprès d’une partie seulement des étudiants présente une limite à cette analyse. Une collecte plus poussée des données pourrait permettre d’observer si le format choisi ou l’appartenance à un programme d’enseignement ont une influence sur les résultats scolaires des étudiants et de cerner si les modalités d’évaluation mises en place sont réellement inclusives. Ainsi, une recherche plus exhaustive pourrait porter sur cet objet. De la même façon, la grille servant à l’évaluation de ce travail pourrait être analysée afin d’assurer que le jugement est équitable pour les trois modalités d’évaluation proposées. Il sera alors possible d’examiner si les modalités d’évaluation mises en place favorisent la réussite scolaire des étudiants universitaires. Car si l’enseignement est inclusif, l’évaluation doit l’être aussi.

Ceci n’est pas nouveau puisque dès 1992 Perrenoud indiquait que les procédures ordinaires d’évaluation sont des freins au changement des pratiques pédagogiques. Plus récemment, Philion, Lebel et Bélair (2010) soulevaient deux principaux défis liés à l’application de la CUA en milieu universitaire. Le premier, nommé « la tâche professorale » explique que l’enseignement selon ce modèle demande un grand investissement en temps de la part des professeurs. Le second défi posé concerne la finalité des programmes universitaires. En effet, on s’interroge sur la façon d’appliquer une pédagogie inclusive tout en respectant les exigences des programmes. Parmi les préoccupations soulevées, « la prise en compte des différences individuelles des étudiants interroge indéniablement de nombreux membres du corps professoral universitaire, notamment en ce qui a trait aux mesures d’évaluation à mettre en œuvre et aux risques inhérents que celles-ci altèrent la finalité des programmes » (Philion, Lebel et Bélair, 2010, p.8).

Dans ce contexte, le processus de modification du Plan de cours représente une première étape pour travailler avec des groupes d’enseignants, chargés de cours, afin d’appliquer des principes de la CUA tant dans l’enseignement que dans les modalités d’évaluation que les cours se donnent en présentiel ou à distance.

Références

Morin, M. (2018). Expérimentation de la cartographie conceptuelle comme dispositif de collecte de données en vue de l’évaluation des apprentissages. Thèse de doctorat Université de Montréal. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/21830

Perrenoud, P. (1992). Différenciation de l’enseignement : résistances, deuils et paradoxes. Cahiers Pédagogiques, Paris. 306, p. 49–55.

Philion, R. ; Lebel, C. ; Bélair, L. Le modèle Universal Instructional Design au service de l’égalité des chances dans les universités canadiennes : apports, enjeux et défis, Éducation et socialisation, 2012,DOI : 10.4000/edso.780. http://journals.openedition.org/edso/780

Tardif, J., (2006). L’évaluation des compétences: documenter le parcours de développement. Montréal, Canada : Chenelière Éducation,


[1] Ce texte est le 3e d’une série traitant de l’évaluation formative/différenciation pédagogique et tâche complexe et authentique.

[2] Ce ne sont pas tous les chargés de cours qui ont appliqué cette consigne dans le Plan de cours lors de cette année scolaire.

[3] Résultats obtenus auprès des chargés de cours qui avaient intégré cette nouvelle consigne

[citationic]