Pourquoi évaluer équitablement? Le cas de l’évaluation en ligne

Par Guillaume Loignon

Le contexte de la pandémie a amené plusieurs d’entre nous à réfléchir sur les principes et outils d’évaluation. Dans un article souvent cité, le philosophe Daryl Close introduit l’idée de d’évaluation équitable, qu’il définit comme une évaluation impartiale qui reflète la compétence de l’élève en lien avec le contenu du cours (Close, 2009). Selon Close, les enseignant-es ont la responsabilité de donner l’heure juste, de communiquer ce que le Conseil supérieur de l’éducation (2018) décrit comme « une information claire sur ce que la personne a réussi et ce qu’il lui reste à maîtriser ». Cela implique de créer des outils d’évaluation permettant de témoigner du niveau de maitrise de l’élève tout en respectant des principes d’équité. Dans ce billet, nous proposons d’établir quelques balises éthiques en évaluation. Nous vous suggérons de lire ensuite le billet portant sur la construction de grilles d’évaluation, qui sont un moyen contribuant à créer des évaluations équitables.

Premier principe : l’évaluation doit être impartiale

Une évaluation est impartiale lorsqu’elle s’appuie uniquement sur les critères du cours qui s’appliquent uniformément à tous les élèves. Cela ne signifie pas qu’on doive appliquer machinalement le même traitement à tous nos élèves, des mesures d’accommodements sont possibles. Il faut cependant s’assurer que, dans des circonstances similaires, tout élève aurait pu aussi recevoir le même accommodement. Prenons la vignette suivante:

Il reste quelques heures aux élèves pour me remettre leur travail de mi-session. J’ai déjà commencé à corriger et je réalise que, dans certains cas, la section intitulée « cadre théorique » a été très mal faite.  J’envoie donc un message à mes classes pour leur annoncer que cette section ne sera pas évaluée, et donc qu’ils n’ont pas à l’inclure dans leur travail.

Cette évaluation n’est pas impartiale, car la grille de correction a été modifiée en cours de route, avantageant les élèves qui n’avaient pas déjà remis leur travail. Les élèves ayant déjà déposé leur travail ont eu à produire cette section, et ont donc disposé de moins de temps et de ressources cognitives pour les autres sections. En raison de ce changement imprévu, on se retrouve avec deux catégories d’élèves faisant un travail différent. De plus, les élèves ayant bien réussi la section « cadre théorique » sont pénalisés par ce changement : on leur retire l’opportunité de témoigner de leur capacité à rédiger cette section alors qu’il s’agissait au départ d’un critère officiel du cours.

Deuxième principe : l’évaluation doit refléter le niveau de compétence de l’élève

Le deuxième principe peut s’énoncer ainsi : l’évaluation devrait informer l’élève, et possiblement les autres parties prenantes comme l’organisation scolaire ou les parents, du niveau de maitrise des connaissances et habiletés en lien avec le cours. Ces compétences et habiletés sont correspondent généralement aux compétences du cours, à ce que le cours vise à développer chez l’élève et qui sera requis pour réussir l’épreuve finale.

Daryl Close remarque que le cheminement vers l’évaluation équitable peut rapidement s’embourber dans de multiples critères de correction qui ne sont pas communiqués aux élèves. Ces critères implicites peuvent être l’effort déployé par l’élève, l’assiduité ou la ponctualité en classe, la participation aux discussions, etc. Dans les années 1990, un sondage mené dans 47 cégeps révélait que la majorité des enseignant-es considéraient à l’époque les résultats scolaires comme une sorte de salaire de l’élève, et ne voyaient pas d’inconvénient à modifier une note finale afin de punir ou récompenser certains comportements (Howe et Ménard, 1994). On peut s’interroger sur les raisons pouvant nous amener à évaluer le comportement de l’élève au-delà de ce qui est requis par le contenu du cours.

Revenant au principe selon lequel l’évaluation est un processus d’information au sujet de la maitrise des contenus du cours, on pourrait chercher des manières alternatives de décourager un comportement délinquant ou de récompenser une belle implication de l’élève, sans passer par l’évaluation. Dans les cas où il est pertinent d’inclure ce type de facteurs dans les évaluations, l’enseignant-e devrait l’annoncer ouvertement afin que la grille d’évaluation soit claire et connue des élèves. En général, les critères et la pondération des évaluations devraient être communiqués clairement et à l’avance. Considérons cette autre vignette :

Je viens d’apprendre que mon cours va se donner en ligne jusqu’à la fin de la session. Mes évaluations ne sont pas conçues pour un cours en ligne. J’ai donc décidé de ne pas enseigner le reste de la matière. Je vais prendre le 60% de points accumulés et de le compter pour 100% de la note finale. C’est équitable, car le changement est appliqué à tous les élèves.

Ce changement de pondération ne respecte pas le deuxième principe éthique, car, en décidant de ne pas évaluer le contenu du reste du cours, l’enseignant-e ne permet pas à l’élève de démontrer sa maitrise des tous les éléments de contenu. De plus, contrairement à ce qu’affirme l’enseignant-e de la vignette, on ne peut affirmer que cette décision est impartiale puisque les élèves qui auraient eu de belles habiletés à démontrer durant la seconde moitié du cours ne pourront le faire; ces élèves sont désavantagés par rapport à d’autres qui ont excellé au début, mais auraient peut-être eu de la difficulté ensuite. Par ailleurs, si les élèves avaient su à l’avance que l’ensemble de l’évaluation porterait sur la première moitié du cours, leur stratégie d’étude aurait été différente. Bien que des circonstances l’obligent parfois, ce type de changement est à éviter.

Le rôle de la rétroaction dans une évaluation équitable

En somme, un résultat équitable reflète une évaluation experte des accomplissements de l’élève en lien avec les objectifs du cours. Pour que cela soit possible, l’élève doit avoir l’opportunité de démontrer ses accomplissements réels. De même, l’enseignant-e doit exercer son jugement afin d’associer un score à la performance de l’élève. Dans le jargon de la mesure et de l’évaluation en éducation, on désigne comme inférences de notation (scoring inference) les raisonnements permettant à l’enseignant-e de traduire la performance en un score (Cook et al., 2015; Kane, 2013).

Les inférences de notation sont l’ensemble des raisonnements que l’enseignant-e émet pour passer de la performance de l’élève à un score.

Considérant que l’évaluation est une forme de communication à deux voies, il peut être intéressant d’inclure des inférences de notation dans les commentaires fournis à l’élève (rétroaction). La rétroaction demeure le meilleur moyen d’informer l’élève au sujet de son niveau de maitrise des compétences du cours. Comme le remarquait récemment le Conseil supérieur de l’éducation (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2018), une note chiffrée a une « valeur informative pauvre ». Communiquer une rétroaction informative à l’élève répond aussi aux exigences de l’évaluation éthique en permettant à l’élève de comprendre pourquoi il ou elle a eu ce résultat, ce qui augmente la capacité de l’élève à agir pour améliorer ses résultats. Dans le contexte d’une évaluation en ligne, il peut être plus complexe pour l’élève d’obtenir de l’aide afin de s’améliorer. Lorsque cela est possible, la rétroaction pourrait être accompagnée de ressources aidant l’élève à relever les défis d’apprentissage communiqués par la rétroaction.

Conclusion

Nous avons défini l’évaluation comme une forme de communication, et avons décrit deux principes éthiques énoncés par Daryl Close : l’évaluation doit être impartiale, et elle doit refléter le niveau de compétence de l’élève. Nous avons vu comment une rétroaction efficace peut contribuer à évaluer dans le respect de ces deux principes. La rétroaction permet à l’enseignant-e de justifier les inférences de notations, qui sont les raisonnements par lesquels on passe de la performance de l’élève à son résultat. Dans la perspective de l’élève, la rétroaction permet de donner du sens au résultat chiffré, de savoir quels aspects améliorer, et comment les améliorer.

Ouvrages cités

Close, D. (2009). Fair Grades. Teaching Philosophy, 32(4), 361‑398. 10.5840/teachphil200932439

Conseil Supérieur de l’Éducation. (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment: Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2016-2018.

Cook, D. A., Brydges, R., Ginsburg, S. et Hatala, R. (2015). A contemporary approach to validity arguments: a practical guide to Kane’s framework. Medical Education, 49(6), 560‑575. 10.1111/medu.12678

Howe, R. et Ménard, L. (1994). Croyances et pratiques en évaluation des apprentissages, 7, 7.

Kane, M. T. (2013). Validating the Interpretations and Uses of Test Scores. Journal of Educational Measurement, 50(1), 1‑73. 10.1111/jedm.12000

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